Florence Piron

Qu’est-ce que la citoyenneté?

À qui appartient la démocratie? Aux élus, hommes et femmes, qui semblent souvent chercher avant tout à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible? Aux juristes et gestionnaires de l’État qui présentent leurs politiques publiques comme les seules possibles alors qu’elles suscitent questions, débats et mécontentement? Aux associations de la société civile qui appellent à manifester contre les projets du pouvoir sans toujours proposer d’options alternatives crédibles? Aux grandes industries qui semblent si proches des gouvernements qu’on en vient à les confondre?

Nombreux sont les citoyennes et les citoyens d’aujourd’hui qui se demandent à qui faire confiance pour que les décisions collectives soient prises en fonction du bien commun, de l’intérêt général, et non pas seulement des intérêts d’un groupe ou d’un autre de la société – souvent les plus riches ou les plus capables de se faire entendre dans l’espace public.

Dans le cadre du séminaire « Communication publique, citoyenneté et démocratie » (Département d’information et de communication, Université Laval), nous avons réfléchi à ces questions sous de multiples angles pendant tout l’automne 2014. Au sentiment d’impuissance et d’incompétence que suscite chez les citoyens et citoyennes le spectacle de la politique contemporaine, nous avons voulu répondre en revalorisant la citoyenneté, c’est-à-dire le droit et la responsabilité de chacun de nous de prendre notre place dans la vie démocratique, de dire haut et fort, en tout temps, dans quel monde nous voulons vivre et d’agir pour le faire advenir, au lieu de rester des spectateurs résignés ou cyniques.

Mais comment faire? Les hommes et les femmes qui ont réussi à faire changer des lois injustes ou à instaurer la démocratie là où il y avait tyrannie ne sont-ils pas des êtres exceptionnels, dotés d’une intelligence ou d’une capacité d’action hors du commun? Le culte du travail, de la performance, de l’argent qui domine notre société actuelle n’empêche-t-il pas les personnes « ordinaires » de participer à la vie de leur Cité par manque de temps ou d’énergie, en plus du cynisme et du désabusement généralisés?

Pour répondre à ces questions, quoi de mieux qu’explorer de manière approfondie la vie de certains des citoyens et citoyennes qui, sans être des « professionnels » de la politique, ont contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons. Nous avons choisi de nous concentrer sur une catégorie de personnes qui a longtemps été exclue de la vie publique et de la citoyenneté et dont, jusqu’à récemment, la parole ou l’opinion n’avait que très rarement été considérée comme essentielle aux débats publics, à la fabrication des lois ou à l’énoncé des valeurs collectives : les femmes.

Des citoyennes qui ont voulu changer leur monde

Notre livre Citoyennes. Portraits de femmes engagées pour le bien commun propose des histoires de femmes de différents pays et de différentes époques qui ont un point commun : elles se sont engagées à un moment de leur vie pour transformer la société dans laquelle elles vivaient, dans l’espoir de la rendre plus vivable, plus juste, plus équitable, plus libre. Et elles ont réussi!

Elles ont sauvé des vies en risquant la leur, ont désobéi à des lois injustes pour en faire adopter de meilleures ou ont manœuvré avec patience et ruse pour faire adopter des lois fondamentales. Elles ont mobilisé des communautés opprimées ou influencé les détenteurs du pouvoir. Elles ont utilisé leur plume avec intelligence et sagacité pour démontrer, alerter, convaincre, proposer.

D’Olympe de Gouges, rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791 à Laure Waridel, militante environnementaliste québécoise, en passant par Wangari Maathai (Kenya) ou Irena Sendler (Pologne) et 27 autres portraits, nous vous invitons à découvrir des femmes ordinaires devenues exceptionnelles par leur engagement en faveur du bien commun.

La lecture de ces portraits montre clairement qu’aucune de ces femmes n’était prédestinée à jouer un tel rôle. Certaines étaient fille de politiciens ou en ont épousé – mais leur genre les destinait plutôt à jouer les faire-valoir qu’à entrer dans l’action politique. D’autres sont nées dans des familles pauvres, peu instruites. Certaines ont eu de nombreux enfants et devaient travailler de longues heures pour gagner la vie de leur famille, etc.

Qu’est-ce qui a fait la différence? Un accident de la vie, une indignation de trop, une rencontre décisive, la découverte qu’il était possible de vivre différemment, une vive imagination et une bonne dose de confiance, d’optimisme ou d’espérance. Deux éléments reviennent souvent dans ces portraits : l’importance d’un accès à l’éducation, que ce soit dans le système formel ou dans la famille, et le soutien de quelques proches, notamment celui de leur père, qui ont éveillées ces femmes aux enjeux collectifs parfois dès l’enfance.

Le point commun décisif reste tout de même un puissant désir d’agir et de sortir de la passivité qui fait si bien l’affaire des dominants; le désir de créer le monde désiré au lieu de l’attendre, par exemple un monde dans lequel les femmes ont le droit de voter ou ne sont pas menacées par des violences intolérables, un monde dans lequel tout le monde peut aller à l’école et s’exprimer librement, un monde dans lequel l’injustice et le manque de liberté sont devenus inacceptables.

La citoyenneté qui ressort de ces portraits n’est pas conditionnelle à de savantes études ni à l’acquisition de compétences particulières, ni bien sûr à l’appartenance à une classe sociale ou à un réseau de puissants. C’est une citoyenneté qui se construit dans l’action, notamment dans l’expérimentation de moyens d’action sur le terrain, mais aussi dans la prise de parole publique, qu’elle soit littéraire, juridique, scientifique, médiatique ou pamphlétaire. Elle manifeste la volonté de construire collectivement la Cité ou le monde dans lequel nous voulons vivre, d’en être fiers et d’y vivre heureux. C’est à ces citoyennes et citoyens qu’appartient la démocratie.

Les portraits

Chaque portrait a été rédigé par une personne inscrite au séminaire. Une liste de 15 femmes a été proposée au départ, puis les 16 autres se sont ajoutées au gré des trouvailles et des affinités des biographes avec « leur » citoyenne. Sur les 31 femmes, 16 sont décédées, 15 sont encore en vie et plusieurs toujours très actives. On peut en suivre certaines sur Twitter… Sur les 35 citoyennes présentées, 10 ont vécu ou vivent en Europe, sept au Québec, quatre dans le reste de l’Amérique du nord, quatre en Amérique latine et Haïti, quatre en Afrique et deux en Asie. Cette mosaïque a inspiré à l’artiste Jessica Gagné, amie d’une étudiante du cours, la fascinante courtepointe de regards qui orne le livre.

Le canevas général d’écriture proposé insistait sur le fait de rendre le texte accessible et plaisant à lire, quitte à le dépouiller de l’appareil de notes et de références qui caractérisent les travaux universitaires. Les références bibliographiques sont cependant toutes présentes avec, chaque fois que possible, un lien Web qui y mène directement, nécessaire à la version électronique de ce livre.

Malgré ce canevas général, le rapport de chaque biographe à l’écriture et à « sa » citoyenne, ainsi que la quantité d’informations accessibles (des dates de naissance sont restées introuvables!) et les différences entre les parcours ont donné à chaque chapitre une personnalité bien marquée. L’admiration et l’enthousiasme suscités par ces citoyennes transparaissent souvent dans les adjectifs utilisés par leur biographe. Une telle admiration pour des citoyennes engagées en faveur du bien commun est-elle le début de cette revalorisation de la citoyenneté à laquelle nous avons aspiré tout l’automne?

Ce livre a été un véritable projet commun. La révision linguistique a été collective, de même que le choix du titre et la préparation du lancement. Il allait de soi que les profits éventuels de la vente du livre devaient revenir à un projet favorisant l’engagement social et citoyen des étudiants et étudiantes. Or, au cours du même séminaire, les personnes inscrites ont réalisé quatre mandats pour Accès savoirs, la boutique de sciences de l’Université Laval, qui les a mis en contact avec une organisation de la société civile ayant besoin de leurs compétences et connaissances. Nous avons donc décidé que tous les profits du livre seront versés à ce programme innovant qui fait vivre aux étudiantes et étudiants une expérience pédagogique et citoyenne très appréciée.

L’Association science et bien commun édite des livres participatifs, accessibles au grand public, sur des enjeux collectifs. Travailler avec elle pour la production et la diffusion du livre a donc été une décision qui s’est imposée tout naturellement.

Comme professeure, citoyenne et femme, je ne peux que remercier ces étudiantes et ces étudiants de m’avoir suivie avec enthousiasme dans cette belle aventure de trois mois qui va maintenant rayonner dans toute la francophonie, en espérant qu’un désir de citoyenneté soit éveillé par la lecture de ces portraits.

Bonne lecture!

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