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Laurie Gosselin-Bélanger

VLabrie

Femme d’action, Vivian Labrie a donné et continue de donner sa vie pour les personnes marginalisées et les plus démunies de notre société. Elle a changé les mentalités et a influencé les groupes politiques afin que les gouvernements encadrent la pauvreté et l’enrayent de façon définitive. C’est grâce à sa détermination que la Loi 112 sur l’élimination de la pauvreté est entrée en vigueur au Québec en 2002.

Une jeunesse marquée par l’engagement social

Née à Sherbrooke en 1953, Vivian Labrie a par la suite grandi à Québec. Aînée d’une famille de trois filles, sa jeunesse est marquée à la fois par une éducation catholique traditionnelle et son implication au sein du mouvement scout. C’est d’ailleurs au cœur de ce regroupement qu’elle découvrit le pouvoir du groupe et de l’individu. Déjà toute jeune, elle comprenait l’importance de l’engagement collectif.

Son engagement envers les autres prit davantage d’ampleur lors de son entrée au collège (Cégep de Sainte-Foy), lorsqu’elle s’impliqua activement dans la Marche des jeunes et dans le Rallye Tiers-Monde. L’idée de « prendre soin de l’autre » était, déjà à cette époque, fortement ancrée dans le quotidien et les valeurs de Vivian Labrie.

Un parcours académique sous le sceau de la collectivité

Forte de ses expériences collégiales, Vivian poursuivit ses études supérieures à l’Université Laval. Titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en psychologie (1974), elle s’envola, après l’obtention de son diplôme de deuxième cycle, à l’Université René-Descartes (Paris V) afin de compléter, en 1979, un doctorat ès lettres et sciences humaines. Ses travaux mettaient en lumière une corrélation pour le moins particulière : les liens existants entre le savoir populaire (domaine du conte) et le savoir universitaire. Vivian Labrie s’est en effet intéressée d’une part à la tradition du conte, la transmission du savoir populaire et de l’autre, à la culture écrite et bureaucratique. C’est à travers le savoir des gens, souvent très pauvres, qu’elle comprit toute l’importance qu’une société doit accorder à la parole de ses citoyens et citoyennes.

1980 : le début du militantisme

Dès son retour en sol québécois, au début des années 1980, Vivian Labrie renoua avec ses anciennes amours : l’engagement social qui prit une place accrue dans sa vie puisqu’elle embrassa le militantisme. Dès 1984, elle coupa tout lien avec le milieu universitaire, préférant nettement se définir comme une chercheuse autonome, sans obligations envers un système qu’elle juge trop corporatiste. Elle mit alors ses qualités au profit d’organismes sociaux.

Elle joignit tout d’abord ses obligations familiales à son désir de voir bouger les choses en s’impliquant auprès de la garderie Saint-Jean-Baptiste, la garderie de sa fille. En 1979, elle fit partie d’un groupe de parents qui posa diverses actions d’occupation de locaux et d’information citoyenne afin que les élus comprennent leurs besoins et accèdent à leur requête d’ouvrir une garderie dans le quartier.

Puis, en 1988, elle commença un travail d’animation au Carrefour de pastorale en monde ouvrier, à Québec. Au début des années 1990, elle s’impliqua, toujours dans les quartiers centraux de Québec, au sein d’un projet visant à mettre en place des stratégies de développement économique communautaire. De 1995 à 1996, elle rédigea, conjointement avec d’autres acteurs du milieu, le rapport Chacun sa part, tout en participant au Comité externe de réforme de la sécurité du revenu. Vivian Labrie contribua, par ses diverses implications et projets, « à faire avancer la cause des personnes les plus fragiles de notre société ».

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté

C’est en 1998 que Vivian Labrie entama son rôle de coordonnatrice au sein du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Cette implication citoyenne, qui poursuivait une longue lignée déjà bien établie, fut toutefois excessivement marquante pour celle-ci puisqu’elle lui permit de réellement changer les choses. Sa présence au sein du Collectif mena effectivement à une révolution sans précédent au Québec dans le domaine de la justice sociale : la Loi 112 sur l’élimination de la pauvreté. Cette dernière s’inscrit dans la foulée de la déclaration de l’ONU de 1997.

Cette déclaration, qui se veut un véritable levier pour la lutte contre la pauvreté, rappelle que cette dernière « représente un impératif moral, politique, social et économique de l’humanité. L’ONU a estimé que l’élimination de la pauvreté est techniquement possible, financièrement réalisable et moralement obligatoire. Mais il faut pour cela construire un véritable partenariat mondial, ce qui suppose une réelle volonté politique des gouvernements, en particulier dans les États développés, qui doivent alléger la dette des pays en développement, augmenter leur aide publique au développement et réorienter l’investissement privé ».

C’est justement cette déclaration qui alluma davantage l’espoir chez Vivian Labrie: l’espoir que les instances politiques québécoises s’inscrivent dans cette vision d’un monde plus égalitaire, plus juste et équitable.

Une réalisation hors du commun : la Loi 112 sur l’élimination de la pauvreté

La façon dont a été conçue cette loi est tout à fait à contre-courant de ce qui s’est auparavant fait en matière de législation. En effet, Vivian Labrie et le Collectif pour un Québec sans pauvreté ne se contentèrent pas de faire pression sur les institutions gouvernementales en place pour changer les choses ; ils assumèrent eux-mêmes le changement en créant et rédigeant de façon complètement autonome le projet de loi devant mener le Québec vers l’éradication de la pauvreté. Loin des rêves utopistes, la Loi, vérifiée et contre-vérifiée par un conseiller juridique, était profondément ancrée dans le réel, truffée de moyens concrets et de pistes de solution pour parvenir au but initial. Des mesures telles que l’instauration d’un revenu plancher pour tous, un soutien accru à l’emploi, le rétablissement de la gratuité des médicaments pour les assistés sociaux et les personnes âgées, etc. ne sont quelques exemples proposés au tournant de l’an 2000 par les membres du Collectif.

Le leadership de Vivian Labrie fut palpable tout au long de ce projet de société. Non seulement elle consulta les membres formant le Collectif, mais, dans un souci encore plus vaste de représentativité, elle tint une vaste consultation populaire qui mena à 5000 suggestions et commentaires de 1200 organismes. Une pétition circula également à travers l’espace public, récoltant le nombre incroyable, pour un projet de cette nature, de 170000 signatures.

Puis, en 2003, après des années de pourparlers, de rencontres entre les divers acteurs impliqués, ce fut la consécration : la loi sur l’élimination de la pauvreté fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Un grand pas, même s’il restait beaucoup de chemin à parcourir, venait d’être fait. Enfin, l’État reconnaissait le besoin criant des gens démunis. Enfin, la société civile avait réussi, à force de discussions, de calmes réflexions et de consultations publiques à influencer les décideurs. Cette victoire, nous la devons en grande partie à Vivian Labrie, une femme de convictions et d’idées.

Vivian Labrie assuma les fonctions de coordonnatrice du Collectif jusqu’en 2006, date à laquelle elle retourna à ses recherches sur les finances publiques, les inégalités socio-économiques et les croisements des savoirs entre divers acteurs. Elle a depuis participé à de nombreuses mobilisations citoyennes telles le Parlement de la rue, la Nuit des taons qui piquent, le Carrefour des savoirs sur les finances publiques, etc.

Vivian Labrie, une femme de cœur

Vivian Labrie a toujours donné et continue, encore aujourd’hui, de vivre pour les autres. Femme de raison, mais surtout de cœur et d’engagement, elle était destinée à une carrière dans la recherche institutionnelle régie par le savoir universitaire. Pourtant, elle a déjoué tous les pronostics en prenant une place de choix dans l’espace public québécois, tendant la main aux laissés pour compte et aux personnes marginalisées. Elle refusa les dogmes, repoussa les conventions et offrit tout son cœur, ses connaissances et ses idées au profit d’une classe de la société trop souvent forcée de se taire.

Pour les plus pauvres, elle déplaça les barrières, elle fit le pont entre le gouvernement et la rue, sans jamais pourtant tomber dans la partisanerie ou la violence. Elle répéta son message de paix. Elle discuta avec tous, se fit la porte-parole d’un groupe qui rêvait d’un monde meilleur. Elle se fit également, à travers ses recherches et ses implications, porteuse d’un message d’engagement. Pour elle, toute société ne peut survivre si chaque personne qui la compose ne s’implique pas activement pour changer les choses, apporter de nouvelles idées. Tous doivent se lever et exprimer leur opinion. Dans une société où le marasme politique est évident, Vivian Labrie fait office de « bouffée d’air frais ». Comme elle le dit si bien, elle veut renverser la vapeur parce qu’un « militant, c’est comme un escargot. Il avance doucement, certes, mais il ne recule jamais ».

Références

À Babord ! Revue sociale et politique (Vivian Labrie) (2004), « Tromperies et recul à l’aide sociale».
http://www.ababord.org/Tromperies-et-reculs-a-l-aide.

Gouvernement du Québec (2014), «Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/L_7/L7.html.

L’autre parole (2001), « Madame Vivian Labrie». http://www.lautreparole.org/articles/219.

 Anonyme (2003), « Lois 112 et 143 vers une société plus égalitaire : Le plan d’action à venir décrira le sérieux de Québec dans la lutte contre la pauvreté ». Le Devoir.
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/21850/lois-112-et-143-vers-une-une-societe-plus-egalitaire.

Nations-Unies (2014), «L’élimination de la pauvreté est techniquement possible, financièrement réalisable et moralement impérative ».
http://www.un.org/press/fr/1997/19971112.AGEF247.html.

Observatoire international du bonheur (2014), «À propos de Vivian Labrie».
http://www.oib-france.com/a-propos-de-vivian-labrie/.

Sentiers de foi (2014), «Une terrienne ouverte dans sa quête d’humanité.
http://sentiersdefoi.info/une-terrienne-a-lidentite-ouverte-dans-sa-quete-dhumanite/.

Université Laval, 2005. «Vivian Labrie, passeuse de paroles : Comment passe-t-on du doctorat au militantisme? Portrait d’une femme en lutte contre la pauvreté».
http://archives.contact.ulaval.ca/articles/vivian-labrie-passeuse-paroles-44.html.

Voir Québec, 2000. « Debout ! Vivian Labrie».
http://voir.ca/societe/2000/05/17/debout-vivian-labrie/.

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