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Liliana Samokhvalova

Nicole_Girard-Mangin_(1878-1919)

À 36 ans, divorcée et ayant un enfant en bas âge, Dr Nicole Girard-Mangin, enseignante à la Sorbonne et spécialiste de la prophylaxie antituberculeuse, fut la seule femme médecin-major de l’armée française engagée dans la Première guerre mondiale. Portrait d’une femme exceptionnelle.

Études de médecine et premières recherches

Nicole Mangin naquit à Paris en 1878, dans une famille de commerçants. Très précoce, elle obtint en 1896 une licence en sciences naturelles qui lui permit de commencer des études de médecine. Elle fut admise à l’externat des hôpitaux de Paris en 1899. Toutefois, la même année, elle interrompit ce parcours déjà peu ordinaire pour se marier par amour avec André Girard. Elle eut ensuite un fils. Pendant deux ans, elle assista son mari dans le négoce de champagne. Ce dernier étant volage, leur mariage battit de l’aile rapidement.

En 1903, Nicole divorça et, grâce à la pension alimentaire qu’elle reçut, repris ses études pour finalement soutenir sa thèse de médecine en 1906 sur « les poisons cancéreux ». Professeur libre à la Sorbonne, elle fit paraître des travaux remarqués sur la prophylaxie antituberculeuse. Active dans de nombreux congrès internationaux, elle devint une référence dans son domaine, la tuberculose et les maladies pulmonaires.

En même temps, elle entreprit de lutter contre les inégalités sociales en menant plusieurs projets importants, financés par des mécènes qu’elle sut convaincre : un sanatorium à Bligny, des logements ouvriers sur le Boulevard Bessières, la maison des étudiantes, l’École des infirmières de la rue Amiot.

En 1914, elle prit la direction du Dispensaire anti-tuberculeux du Professeur Robin à Baujon.

Première Guerre mondiale

Symboles de la Première Guerre mondiale, les « gueules cassées » des soldats étaient le résultat de la grande violence des blessures infligées aux combattants, ainsi que des nouveaux types d’armement qui furent utilisés lors des combats : les armes conventionnelles, mais aussi chimiques et biologiques. Les canons et les explosifs devinrent de plus en plus performants, c’est-à-dire meurtriers.

Les armes chimiques furent utilisées pour la première fois à une grande échelle lors de la Grande Guerre. La modernisation de l’armement et la nouvelle intensité de feu provoquèrent des dégâts corporels jamais vus jusqu’alors.  La qualité ne primait plus sur la quantité puisqu’il fallait toujours plus, très vite et le moins cher possible (Plancard, 2013).

Le manque de médecins et d’infirmières fut gravement ressenti. Et c’est à ce moment qu’une élégante blonde, Dr Nicole Girard-Mangin, entra en scène.

Du premier coup d’œil, on sentait en elle une indomptable énergie. C’était une ­petite femme à faire marcher un régiment.

Mobilisation dans l’armée

C’est par erreur que Nicole fut mobilisée. Les autorités militaires qui lui envoyèrent un ordre de mobilisation cherchaient un médecin pour un hôpital thermal et ne remarquèrent pas le prénom « Nicole » derrière le titre de Docteur. Elle figurait sur des listes comme médecin de l’Assistance publique et comme membre du Comité de Secours aux blessés militaires.

Arrivée à Bourbonne-les-Bains, le médecin chef me reçoit avec ahurissement et méfiance : “ Une femme ! On m’envoie une femme et on m’annonce un homme! ” » Elle en avait vu d’autres et elle présenta ses diplômes de médecine et ­répliqua: « Vous m’en voyez désolée, mais je suis affectée dans votre établissement et je me sens parfaitement apte à remplir les fonctions qui m’incombent. »

Elle écrivit ensuite à sa famille :

Partout, j’étais accueillie comme vous savez. Puis, après quelque temps, nous apprenions à nous connaître. On me faisait des excuses, on admettait que j’étais capable de quelque chose.

Dans l’hôpital militaire de Bourbonne-les-Bains, elle se montra tout à fait apte à remplir ses fonctions et chercha davantage de tâches pour se rendre utile. L’hôpital manquait de matériel, elle fit donc la stérilisation de celui-ci dans un four de boulanger et confectionna des attelles avec des treillages ou de vieilles boites.

Le 9 août, à neuf heures du soir, on me dit d’aller à la gare, où quelques réfugiés arrivaient. Je me trouve devant un train de blessés formidable, dont la plupart intransportables : nous dûmes en recevoir 1073 !

Durant l’hiver 1914-1915, elle fut mobilisée dans la région de Verdun. Là, à l’hôpital n° 7, le médecin lui interdit l’entrée des salles puis l’affecta dans des baraquements bombardés où elle dut soigner des personnes atteintes du typhus. Elle y resta pendant toute « l’épopée de Verdun », soignant les non-transportables et les 168 typhiques. Elle coupait du bois et allait aux champs pour traire les vaches afin de les nourrir. Quand les bombardements éclatèrent, Nicole dut évacuer les non-transportables sous la mitraille. Elle fut au volant d’une voiture d’ambulance jour et nuit et c’est à ce moment qu’elle fut blessée à la joue.

Partout, elle affirma son autorité et fut indispensable; ses compétences étaient indiscutables. Elle fut promue médecin-major en 1916. Cette même année, elle se vit confier la direction de l’hôpital-école Edith-Cavell.

Après la guerre, elle devint responsable de la formation des infirmières, mais continua de rendre visite aux malades, de travailler en chirurgie et de présider le conseil de direction de cet hôpital.

Profitant de son retour à Paris, elle milita à l’Union des femmes françaises, un mouvement féministe, assista aux séances de la Croix-Rouge américaine pour la lutte antituberculose et participa activement à la création de La Ligue contre le cancer. Après l’armistice, le Dr Girard-Mangin fut rendue à la vie civile, sans honneurs ni décoration (De Morant, 2014).

Elle avait 41 ans

Au matin du 6 juin 1919, son corps fut découvert sans vie à son domicile de Paris. Les pots de médicaments vides ne laissèrent aucun doute. Son biographe, le Dr Jean-Jacques Schneider avance une hypothèse :

Nicole se savait atteinte d’un cancer incurable. Après avoir assisté tant et tant de mourants pendant la Grande Guerre, elle ­aurait préféré, en médecin, abréger ses propres souffrances. Elle avait 41 ans.

Œuvres

Nicole Girard-Mangin, Les poisons cancéreux, 1909, 154 p.

Nicole Girard-Mangin, Toxicité des épanchements pleurétiques, Alcan, 1910, 34 p.

Nicole Girard-Mangin, Essai sur l’hygiène et la prophylaxie antituberculeuses au début du XXe siècle siècle, Masson, 1913, 356.

Nicole Girard-Mangin, Guide antituberculeux du Dr Girard-Mangin, 3e édition, 1914, 23p.

Références

Les citations sont extraites des références ci-dessous.

Frigon, Sylvie (1996), « Éditorial : homicide conjugal, représentations et discours : contrôle, légitime défense et amour ». Criminologie. Vol.29, #2, pp 3-9.
http://www.erudit.org/revue/crimino/1996/v29/n2/017386ar.html.

De Morant, Guillaume (2014), « Nicole Girard-Mangin, première femme-médecin sur le front » Paris match.
http://www.parismatch.com/Actu/Societe/Nicole-Girard-Mangin-premiere-femme-medecin-sur-le-front-578852.

Plancard, Frédéric (2013), « Médecine de guerre », Vosges Matin.
http://www.vosgesmatin.fr/actualite/2013/03/15/medecine-de-guerre.

O’graphy, Tom (2013), « 1914-1918 : La médecine et la chirurgie pendant la Première Guerre Mondiale » Epoque contemporaine, Histoire de la médecine.
http://thoracotomie.com/2013/11/11/1914-1918-la-medecine-et-la-chirurgie-pendant-la-premiere-guerre-mondiale/

Riaud, Xavier (2012), « Nicole Girard-Mangin (1878-1919), une femme médecin dans le service de santé des armées », site Verdun-Meuse.
http://www.verdun-meuse.fr/index.php?qs=fr/ressources/nicole-girard-mangin-%281878-1919%29,-une-femme-m

Schneider, Jean-Jacques (2011), Nicole Mangin : Une Lorraine au coeur de la Grande Guerre – L’unique femme médecin de l’armée française (1914-1918). Éditions Place Stanislas, Paris.

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