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Jean-Michel Poirier

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La politique a longtemps été un milieu d’hommes. Alors que la représentativité féminine au sein de l’appareil gouvernemental est un débat plutôt moderne, le combat des femmes pour être reconnues au même titre que les hommes dans les postes décisionnels, lui, ne date pas d’hier. Il y a eu de ces femmes qui ont lutté toute leur vie active, dans un contexte social et politique difficile pour le sexe féminin. Lise Payette, journaliste et ex-ministre, fait partie de celles qui ont mené le combat d’une vie pour la reconnaissance des femmes dans la société civile québécoise. Dans la lignée de femmes d’envergure comme Thérèse Casgrain, Lise Payette a marqué profondément la société québécoise par ses idées, son travail acharné et sa détermination. Pauline Marois, ancienne première ministre du Québec, dira d’ailleurs « qu’elle a donné un élan incroyable aux femmes de ma génération ».

De journaliste…

Lise Payette, née Lise Ouimet, provient d’une famille ouvrière de Montréal.

À l’âge de 23 ans, elle commença sa carrière de journaliste dans une station de radio de Trois-Rivières. Elle travailla également à Rouyn-Noranda, Québec et Montréal.

En 1958, elle s’envola pour Paris où elle collabora avec plusieurs magazines, dont Châtelainele Nouveau Journal et le Petit Journal, d’où elle anima l’émission Interdit aux hommes, avec Martine De Barsy.

De retour au Québec, en 1965, elle anima l’émission Place aux femmes, à la radio de Radio-Canada jusqu’en 1972. Puis elle fut à la barre de la célèbre émission télévisée Appelez-moi Lise. Ces deux émissions firent d’elle une figure marquante du mouvement féministe québécois.

En 1975, Lise Payette s’imposa dans une émission de variétés, un talk-show de fin de soirée, intitulée Appelez-moi Lise. Coanimée avec Jacques Fauteux, l’émission était diffusée à 23h et obtenait plus d’un million de téléspectateurs par diffusion. Abordant des sujets parfois tabous pour l’époque, elle n’a jamais hésité à exhorter les Québécoises à se tenir « debout ». Intervieweuse de talent, elle se démarqua par son écoute. Elle dira d’ailleurs à ce propos, sur les ondes de Radio-Canada :

L’entrevue, ce n’est pas poser des questions, c’est écouter des réponses. Et à partir des réponses que l’on reçoit, la route se trace petit à petit vers la confiance, la découverte de l’autre, l’acceptation de l’autre, l’interrogation de l’autre.

C’est dans le cadre de cette émission qu’elle lança le célèbre concours du plus bel homme du Canada, où le journaliste Bernard Derome se classera troisième. Appelez-moi Lise, c’était aussi une émission menée par une femme, qui choisissait elle-même ses sujets et ses invités. Pour beaucoup de femmes, enfin, un modèle féminin fort faisait son apparition à la télévision québécoise. Il s’agissait d’un pas important, puisque la femme de l’époque était souvent représentée comme une femme soumise à son mari. Le fait que son faire-valoir sur le plateau soit un homme a contribué à renverser les rôles traditionnels à la télévision.

… à politicienne

En 1975, elle présida la première Fête nationale du Québec sur le Mont-Royal à Montréal. Le succès de l’évènement lui donna envie de se lancer en politique. Elle contacta René Lévesque pour lui offrir de se présenter aux élections législatives de 1976.

Élue, Lise Payette fit son entrée à l’Assemblée nationale sous la bannière du Parti québécois dans la circonscription de Dorion. Elle fut immédiatement nommée au Conseil des ministres, héritant du ministère des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières, de 1976 à 1979. Elle devint ensuite ministre d’État à la Condition féminine de 1979 à 1981 — un poste de ministre créé spécialement pour elle. Elle fut enfin ministre d’État au Développement social de 1980 à 1981. Elle était aux côtés de René Lévesque lorsqu’il prononça son fameux discours de défaite référendaire : « si j’ai bien compris, vous êtes en train de me dire : à la prochaine fois ». Elle ne se représenta pas aux élections générales de 1981.

Aussitôt nommée sur le Conseil des ministres, Lise Payette insista pour être désignée comme la ministre plutôt que le ministre, comme il était coutume de faire à l’époque.

Une ministre active

Ministre pendant plus de cinq ans, Lise Payette a piloté plusieurs dossiers d’envergure. Cependant, il y en a deux qui ressortent particulièrement du lot. En tant de ministre des Consommateurs, elle fit adopter en 1977 la Loi 67, créant un organisme public de gestion de l’assurance automobile, la Régie de l’assurance automobile du Québec — qui deviendra la Société de l’assurance automobile du Québec en 1990. Cette loi, fortement critiquée par l’opposition libérale et les compagnies d’assurances, est basée sur le système du no fault qui précise qu’un conducteur ne peut en poursuivre un autre pour des dommages matériels ou physiques, les dommages physiques étant couverts par une mutuelle.

Lise Payette contribua fortement à l’émancipation des femmes. En tant que ministre d’État à la condition féminine, elle implanta une quantité de mesures pour le mieux-être des femmes. Elle fut responsable de l’implantation de la première politique d’ensemble sur la qualité de vie féminine, Pour les Québécoises : Égalité et indépendance, un rapport important du Conseil du statut de la femme, qui analyse les rapports à la femme dans la société, l’égalité des sexes, la division du travail, le partage des responsabilités et l’éclatement du mariage et l’accès aux postes de pouvoir. Le rapport se définit ainsi :

Au problème de la représentation stéréotypée des personnages dans les manuels d’enseignement, s’ajoute celui du silence gardé par les sciences humaines au sujet des femmes, en tant qu’individus et en tant que groupe social. La condition spécifique des femmes, leurs luttes passées et présentes y sont oubliées; leurs contributions diverses à l’économie, à la science, à la culture, aux arts, à l’histoire, aux structures du pouvoir y sont passablement escamotées. L’ensemble des médias, la publicité et les autres représentations sociales et culturelles n’illustrent à peu près jamais de telles réalités, ce qui a pour effet de renforcer dans l’esprit des jeunes le caractère universel et immuable des modèles imposés à la société. (Payette, 1978 : 45)

En outre, elle fut responsable d’une multitude d’autres réformes, dont des modifications importantes au code civil qui l’ont rendu plus équitable envers les femmes.

Toujours active pour la cause des femmes, Lise Payette insiste sur le fait que les acquis en matière d’égalité des sexes sont fragiles. Elle dira d’ailleurs, dans une entrevue au Soleil, que «malgré les gains qu’on fait, on est toujours menacées de retourner en arrière.»

L’affaire des « Yvette »

Bien entendu, femme de cœur et de tête qu’elle était, Lise Payette a connu une vive opposition à ses idées parfois tranchées. C’est le cas de l’affaire des Yvette, lors de la campagne référendaire des années 1980. Lors d’un rassemblement partisan en faveur du Oui à l’indépendance du Québec, elle qualifia la femme de Claude Ryan, alors chef du Parti libéral de l’époque et général du camp du Non au référendum de 1980, d’Yvette, du nom d’une fillette docile et soumise figurant dans un manuel scolaire en vigueur à l’époque.

Accusée de mépriser les femmes au foyer, un important mouvement de contestation s’organisa, les « Yvette », visant à s’opposer à ce qui était qualifié de « mépris » de la femme au foyer. Lise Payette fut fortement écorchée et blessée par ce mouvement de contestation.

Dans le documentaire Lise Payette : un peu plus haut, un peu plus loin, réalisé par sa petite fille, Flavie Payette-Renouf, et le cinéaste Jean-Claude Lord, Mme Payette revint sur cet incident, mentionnant qu’elle n’avait jamais méprisé les femmes au foyer et qu’elle regrettait cette interprétation de ses propos. Il est même dit par plusieurs analystes que le mouvement des « Yvette » a été le point tournant de la campagne du Non de 1980, ce qui a mené au premier échec référendaire.

Dans les médias

Lise Payette retourna enfin à la télévision, où elle devint auteure de séries télévisées. Au total, c’est plus de 900 épisodes qu’elle coucha sur papier. Elle écrivit plusieurs séries à succès comme La Bonne Aventure, Des dames de cœur et Un signe de feu. Elle fut également l’auteure du premier feuilleton quotidien, Marilyn.

En 2004, Lise Payette obtint une chronique dans le Journal de Montréal, mais elle y mit un terme en 2007 en raison du lock-out  imposé à ce journal. Depuis 2007, il est possible de lire ses chroniques dans le quotidien Le Devoir.

Une femme décorée

Lise Payette fut honorée de nombreux prix à travers sa carrière. En 1997, elle fut récipiendaire du prix Florence-Bird, décerné par le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal à une journaliste canadienne qui a fait la promotion des droits des femmes tout au long de sa carrière. Elle reçut, en 2000, la Médaille d’or du Mouvement national des Québécois, médaille remise tous les dix ans à une Québécoise et à un Québécois qui ont suscité la fierté et la reconnaissance de l’ensemble du peuple québécois. En 2001, elle fut faite Officier de l’Ordre national du Québec. Puis, en 2009, elle obtint un doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Montréal. En 2014, elle a reçu le prix Guy-Mauffette du gouvernement du Québec.

Références

Auger, Samuel (2014), « Entrevue avec Lise Payette: un vide politique pour les femmes ». In Le Soleil. Québec. 23 novembre 2014.

Behiels, Michael (2011), Contemporary Quebec : Selected Readings and Commentaries. Montréal : McGill-Queen’s University Press. 797 p.

Collectif Clio, Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Quinze, 1982, 521 p.

Conseil du statut de la femme (1978), Pour les Québécoises: égalité et indépendance, Québec, Éd. officiel du Québec. 335 p.

Page Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lise_Payette

Jean-Claude Lord et Flavie Payette-Renouf, 2014, Lise Payette : un peu haut, un peu plus loin. Documentaire, Productions J et Argus Film.

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